Dîner au Restaurant Pages : Un éloge aux Vins Anciens
- Jean-Baptiste Rambaud
- 10 avr. 2023
- 4 min de lecture
L'Invitation et l'Introduction

Voici l'histoire d'une rencontre inoubliable. Un jour, mon frère me contacte pour m'annoncer qu'un de ses amis a pris une place pour l'Académie des Vins Anciens de François Audouze, mais qu'il ne peut malheureusement pas y assister. Sans hésitation, je rachète sa place et me voilà au restaurant Maceo à déguster une kyrielle de vins anciens! À la fin du repas, l'atmosphère est décontractée et, avant de dire au revoir à notre hôte, je lui propose de nous revoir pour partager une bouteille de Rayas blanc 1959 provenant de la cave que j'ai récemment acquise. François accepte et, après quelques échanges de mails, organise un dîner au restaurant Pages, situé dans le 16ème arrondissement, avec moi et mes deux frères. Nous sommes rejoints par un de ses amis, Éric, qui nous offre généreusement le premier vin, un Dom Pérignon 2008. Parfait pour débuter, il éveille le palais et son caractère vineux et brioché constitue une excellente introduction aux vieilles bouteilles qui suivront! Un grand merci Eric! Le Restaurant Pages et les Premiers Accords
Le restaurant Pages, qui nous reçoit pour notre dîner, est un véritable bijou niché dans le 16ème arrondissement, où le talentueux chef Ken exerce son art avec brio! Le menu a été élaboré conjointement par François et le chef afin de s'harmoniser au mieux avec les vins de la soirée, et il faut admettre que ces deux experts maîtrisent parfaitement leur sujet!

Le carpaccio de bar à l'huile d'olive est accompagné du Château Chalon 1942 de la maison Bourdy; bien qu'ouvert depuis quelques jours, ce vin n'a rien perdu de son éclat, préservé des ravages du temps par son profil oxydatif. Il brille par sa fraîcheur et sa vivacité, s'accordant à merveille avec le poisson. Plus tard, nous y reviendrons avec les asperges en trois façons, un accord inattendu et encore plus intéressant! Ce grand vin est sublimé par des plats simples, mais d'une précision chirurgicale. L'Ouverture des Vins et le Château Trotanoy 1926 Lors d'un repas en compagnie de François Audouze, il est indispensable de parler de l'ouverture des vins: arrivé au restaurant vers 16h, il a commencé par déboucher la bouteille de Château Trotanoy 1926. La préservation de ce vin est exceptionnelle, le bouchon s'extrayant en un seul morceau, l'expérience et l'habileté jouent un rôle crucial dans cette épreuve! À noter qu'à la fin des années 1920, une restructuration du domaine a réduit de moitié la surface de production.

Le vin est servi avec du Saint-Pierre; si l'association avec le poisson surprend encore une fois, elle s'avère être une réussite. Il est impossible de deviner l'âge de ce vin intemporel. Je n'ai pas eu l'opportunité de goûter le Petrus 1926 ou le Margaux 1900, que François considère comme étant du même calibre, mais je sais que ce vin est sans doute le plus grand bordeaux que j'ai eu l'occasion de déguster jusqu'à présent. Il s'agit d'un nectar fabuleux au nez fumé, puissant et délicat à la fois, qui coupe le souffle. Les votes en fin de repas sont unanimes et ne se trompent pas en le plaçant en première position! Merci François pour cette bouteille inoubliable qui restera gravée dans nos mémoires! Une étoile dans la nuit, Rayas blanc 1959 Cette bouteille est, incontestablement, la plus attendue du dîner et la raison pour laquelle nous nous sommes réunis en ce moment précis. Pour mémoire, cette bouteille provient d'une collection plus vaste de Rayas blancs et rouges de divers millésimes, héritage de l'époque de Louis Reynaud, le grand-père d'Emmanuel. Débouchée à 17h30, le bouchon, remplacé il y a quelques années, s'extrait en un seul morceau; son arôme est splendide et exotique à souhait. La teinte est ambrée, mais comme il s'agit probablement d'un demi-sec, il n'y a pas lieu de s'inquiéter.

Étant allergique aux fruits de mer, je ne pourrai pas goûter l'accord prévu avec le homard, mais la lotte accompagnée de son beurre blanc fera l'affaire. Le vin est généreux, ses légers sucres résiduels lui confèrent une douceur et une longueur inouïes, il est royal et tient son rang! Nous avions déjà ressenti cette puissance lors de la dégustation d'une autre bouteille chez Georges, mais celle-ci boxe dans une autre catégorie! Les Vins Rouges et Leurs Contrastes Quelques semaines auparavant, j'avais eu l'opportunité de déguster un Corton Charlemagne 1969 du domaine Rapet. Ainsi, c'est son homologue rouge qui sera servi ce soir. La méthode d'oxygénation lente a donné pleine satisfaction et le vin est à son apogée au moment de la dégustation. Ce vieux pinot noir est tout ce qu'on peut espérer: élégant et délicat. Cependant, il peine à tenir sur la longueur et manque un peu de persistance. Le Château Canon 1966 est quant à lui absolument parfait. Sa couleur foncée contraste avec les autres verres que nous avons devant nous, et il semble si jeune qu'il en devient presque ennuyeux, peinant à trouver sa place au milieu du repas. Malgré tout, c'est un vin puissant et racé qui aurait aisément pu être la vedette d'un autre dîner!

La Surprise du Dessert C’est la surprise de ce repas, François s’attendait à ce que j’apporte un Meursault, je l’ai remplacé par cette bouteille qui n’a absolument rien à voir! La surprise passée, il a fallu réorganiser le dessert, passant d'un dessert chocolaté à une merveilleuse création aux agrumes concoctée par le chef pâtissier. J’avais pris contact avec le domaine pour cette bouteille et Julie Gonet Medeville m'avait expliqué le système de classification que son grand-père utilisait pour ses vins, basé sur la teneur en sucre. Le "doux" se situant juste en dessous du Crème de tête, qui possède la plus haute concentration de sucre résiduel.

Le domaine, extrêmement réputé à Sauternes, possède l'originalité de faire vieillir ses vins en cuve pendant deux décennies avant de les commercialiser. L'harmonie entre le vin et le dessert a atteint une perfection inégalée, apportant une conclusion éblouissante à notre repas. L'équilibre du vin se mariait parfaitement à l'acidité du dessert, nous transportant dans un univers féerique, doux, régressif, subtil… Ce dîner au restaurant Pages a été une célébration de la vie, de l'amitié et de la passion pour les vins. Une soirée gravée à jamais dans nos mémoires, une ode à l'excellence culinaire et vinicole.

L'article de François est à retrouver ici : http://www.academiedesvinsanciens.org/274eme-diner-au-restaurant-pages/
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